Bertrand Louis souffle le titre du poème de Baudelaire qu’il a choisi dans « Les Fleurs du mal », et la musique commence, épousant le texte comme dans une danse nuptiale. Ce n’est plus tout à fait du Baudelaire, c’est encore plus évocateur que les mots que nous avons appris lors nos humanités. Ces mots, Bertrand Louis les incarne, les fait vivre, avec sa voix joliment travaillée pour la circonstance, et avec sa musique délibérément actuelle.
« Mon enfant, ma soeur, songe à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble » Quoi de mieux que le son des cordes du piano et de la harpe pour nos envelopper de langueur à ces propos, « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe calme et volupté ». La harpe donc, mais aussi la guitare électrique de Jérôme Castel joue la magie du moment, sur d’autres poèmes comme Le Chat. Ce Jérôme-là tricote les sons au gré des mots, des sons durs, grinçants et des sons doux et purs. Toute une gamme d’atmosphères sont proposées à nos oreilles aux aguets.
Quant à la voix du chanteur, elle est différente de celle que nous lui connaissons, plutôt incisive et pleine. Il semble qu’il aille chercher au plus profond de lui une voix intérieure qui corresponde à la façon dont Charles Baudelaire lui-même se serait exprimé. Un poète plutôt sombre, assez désespéré, usant de l’irréel du passé. Ainsi nulle grandiloquence dans l’expression de cet album, juste une version proposée par Bertrand Louis de façon intimiste, le texte à l’os et la musique ample et légère à la fois. Donc rien de semblable à ce qu’ont présenté Léo Ferré, Georges Chelon ou François Atlas. Bertrand Louis assume une douce mélopée qui n’est pas dénuée d’élégance, ce qui est un peu sa marque de fabrique.
Les musiciens sur scène, je les ai vus à la Manufacture Chanson, sont en harmonie avec le chanteur qui joue du piano. Tous sont en costume sombre. La harpiste, Hélène Breschand n’est pas là, pour des raisons évidentes, mais Jérôme Castel y est bien, qui s’emploie à délivrer des sons extraordinairement convaincants avec quelques pédales et une guitare électrique. Marion Elan Trigo est venue accompagner quelques titres de son violoncelle, parachevant la teinture romantique de cette oeuvre collective. Je n’ai pas encore dit que sur le disque , il y a un batteur, Amaury Blanchard, dont le rôle prend sa place dans Elévation, un morceau plutôt enfiévré que je mets à l’écoute ici.
Lorsque je me remémore l’attitude de Bertrand Louis, tout entier tendu vers son guitariste, comme on le voit sur ma photo, je me demande si ce n’est pas lui finalement qui incarne Baudelaire et si le chanteur ne vibrait pas à aux inflexions de son corps et de sa guitare, si expressive. Allez voir le spectacle-concert et vous me donnerez votre ressenti. C’est à L’ACP Manufacture Chanson de Paris le 5 Décembre, et puis encore les 20 et 22 Mars 2019. Entretemps, ils seront à Briare, Avignon, Nice, Carcassone, Montpellier et Marseille. Une visite sur le site s’impose pour davantage d‘informations.
Annie Claire 22.11.2018