Ce dimanche d’hiver a eu lieu le vernissage de l’exposition de Fabrice Lassort, « Ainsi Soient-Ailes » dans la crypte de l’église Saint-Sulpice. Il s’agit du résultat d’une expérimentation de deux ans réalisée par l’artiste et photographe alternatif Fabrice Lassort autour du site de l’église Saint Sulpice.
Pourquoi ce site? Pour plusieurs raisons fortes, cette église est la plus importante et la plus haute à Paris après Notre Dame et lorsque l’on monte dans ses parties supérieures à environ 75 mètres de haut, l’on bénéficie d’une vision sur Paris à 360°. Les bâtisseurs avaient tiré parti de cet avantage en construisant la Méridienne (ou gnomon) de Saint Sulpice. Il s’agit d’un procédé de mesure très précis du temps à partir de la maîtrise de l’espace. Un petite ouverture ronde dans un vitrail, une réglette de laiton enchâssée dans le marbre du sol, véritable chemin lumineux servant de repère et un obélisque de 10.72 mètres en face du vitrail forment le dispositif permettant de déterminer les dates exactes des solstices et des équinoxes. Pour la détermination des fêtes mobiles, comme Pâques, cela avait son importance.
Je ne m’égare pas car Fabrice Lassort travaille avec ses expérimentations solargraphiques également sur la course du soleil. Lui aussi perce un trou minuscule dans une chambre noire. Il réalise ainsi un véritable appareil photographique sans viseur et sans objectif, en captant l’image formée sur le fond de la boite par un papier photo sensible aux sels d’argent. Ce procédé s’appelle le sténopé, c’est ainsi que l’on nomme également les boites étanches à la lumière utilisées dans ce procédé.
A l’issue de travaux de préparation qui ont duré de longs mois dans son laboratoire installé dans la crypte Saint Agnès de l’église, Fabrice a décidé de fabriquer et de placer 118 boites/sténopés sur trois niveaux différents de la façade de l’église. Rendues étanches à la lumière et aux intempéries, les boites ont été placées à contre-jour pour capter la lumière, qui petit à petit, a solarisé le nitrate d’argent du papier sensible. Cette expérimentation est un véritable travail d’apprentissage du temps qui passe, une gestion de la vitesse et de la patience, un art de vivre.
C’est ce qui a motivé Fabrice Lassort dans cette utilisation de procédés artisanaux pour l’obtention d’images actuelles avec un dispositif ancestral. Nous sommes là à l’opposé de la facilité des appareils numériques qui permettent d’obtenir en une seconde des images d’une fidélité au réel indiscutable. Et notre artiste n’avait pas encore réalisé ses images. Encore a t-il fallu faire passer son papier impressionné au scanner pour obtenir une image en couleurs. Mais oui, c’est ainsi qu’il est passé de la technique du noir et blanc à la couleur. Les tirages ont été réalisés sur des bâches rigides, et ont été exposées dans l’église, sur les piliers principaux de la nef centrale. Le résultat est impressionnant si j’ose utiliser ce mot.
En observant certaines photographies de Fabrice, l’on observe des fragments d’image qui n’ont rien à voir avec le paysage parisien, il s’agit en fait de traces d’humidité qui ont développé des phénomènes inattendus sur l’image, donnant lieu à des formes artistiques remarquables. Ici réside le processus créatif propre à la technique qui permet des approches différentes du traitement de l’image, sans volonté de dompter la lumière et en laissant au temps (dans les deux sens du terme) toute latitude de faire son oeuvre pour un résultat totalement non maîtrisé. Les oeuvres d’art sont originales et peuvent être acquises par le public, je renvoie pour ce faire au site de l’artiste.
Des centaines de personnes se sont rendues ce dimanche au rendez-vous fixé par l’artiste pour le vernissage de son exposition et la restitution au public des résultats de ses deux années de résidence à l’église Saint-Sulpice. Fabrice entreprend d’autres travaux autour de ce procédé de solargraphie à Montréal, et je ne manquerai pas de les suivre pour éventuellement en faire état, car je trouve cette utilisation de techniques anciennes très intéressante, voire utile dans notre époque qui privilégie la rapidité, laissant peu de place à une réflexion sur les temps anciens et l’observation de l’univers par l’homme serein.
Annie Claire 13.12.2018