La Saga des Portes de l’Hôtel CHELSEA à New York

 

 

Photo P. SchwabL’histoire a commencé en avril dernier par un communiqué de l’Agence France Presse qui annonçait la vente aux enchères de 55 portes de cet hôtel mythique de Manhattan. Qualifié d’ancien SDF, James Georgiou, dit Jim, célèbre pour vivre avec son chien en bas de l’hôtel après y avoir résidé plusieurs années, a eu l’idée de récupérer dans la décharge du chantier de rénovation de l’hôtel une cinquantaine de portes. Aidé en cela pour le transport, l’entrepôt et l’identification des illustres résidents des chambres auxquelles correspondent les portes, Jim et son équipe, au bout de cinq années d’investigations, ont réussi à convaincre l’agence Guernesey d’organiser une vente aux enchères publiques. Celle-ci a eu lieu le 12 Avril 2018 dans les locaux de la Ricco Maresca Gallery à New York, elle a rapporté quelques 500.000 dollars dans un climat d’enthousiasme que l’on peut qualifier d’international.

Dans un souci de désintéressement proclamé, Jim a souhaité qu’une partie substantielle de la somme recueillie soit versée à l’organisme humanitaire City Harvest dédié à l’alimentation des personnes nécessiteuses. Le geste est louable, l’histoire semble belle, mais quelles sont les réalités humaines de cet acte de sauvetage?  C’est ce à quoi nous nous intéressons en fin d’article, voici le contexte.

Le légendaire Chelsea Hôtel a abrité bien des personnalités du monde artistique, des peintres célèbres, des écrivains de renom, des grands réalisateurs de cinéma, des chanteurs et musiciens qui ont marqué l’histoire et dont certains sont encore en vie. Citons simplement Leonard Cohen avec Janis Joplin, Arthur Miller, Frida Kahhlo, Jack Kerouac, Jackson Pollock, Sartre et Beauvoir, Milos Forman, Dennis Hopper, Stanley Kubrick, Jane Fonda, Humphey Bogart, Arman, Kris Kristofferson, Tom Waits, Patti Smith avec Robert Mapplethorpe, Bob Dylan, Jimi Hendrix, Keren Ann, Joan Baez, Les Pink Floyds, Madonna, Bob Marley, Jim Morisson… Son emplacement a voulu qu’il recueille également des rescapés du naufrage du Titanic.

Ouvert en 1884, le Chelsea, est construit en briques rouges dans le style architectural gothico-victorien, sur douze étages, dans la 23ème rue. Son architecte est Philip Hubert, un adepte des idées proto-socialistes du philosophe français Charles Fourier. Le Chelsea a longtemps fonctionné comme une coopérative d’habitations privées à bas prix, avec des appartements de différentes surfaces, dont certains avaient une cheminée. A l’époque, c’était le plus haut building de New York. Il a été classé en 1981 au patrimoine culturel de la Ville de New York. Il a abrité des résidents, des occupants et des clients, selon leur durée d’occupation et leur contribution aux loyers et tarifs de l’établissement. Les parties communes étaient décorées des œuvres que certains artistes donnaient au célèbre Stanley Bard, directeur historique de l’hôtel (mort en 2007), en contrepartie de leur séjour. Cette résidence d’artistes était le lieu de fêtes, notamment sur le toit, où alcool et drogue permettaient tous les excès. Il s’agit d’une époque et d’un contexte sociologique qui a été décrit dans bien des ouvrages, notamment de certains intéressés comme Patti Smith dans Just Kids chez Denoël ou Bob Dylan dans ses Chroniques chez Folio.

Malgré la présence d’une centaine de résidents permanents non expulsables, l’hôtel a changé de mains, restant un lieu de vie du monde artistique en même temps qu’un hôtel de tourisme. D’importants travaux de rénovation ont commencé en 2011. C’est là que commence notre Saga des Portes.

L’on peut voir une forte symbolique de la porte pour un sans-abri comme James Georgiou qui, étant donné son fort attachement au lieu a voulu perpétuer les traces de ceux qui avait vécu derrière ces portes, dont lui, pendant quelques années. L’idée de l’homme et son chien Teddy vivant dans la rue en bas de l’hôtel et connaissant tout le monde, a plu au public, d’autant que le produit de la vente était pour partie dévolue à un organisme à but non lucratif s’occupant de récupération de denrées alimentaires auprès des chaînes de distribution et de restaurants, destinée aux démunis. Il est intéressant également de constater que le mythe de l’institution, le Chelsea Hotel, qui a aidé des artistes à la marge à se réinsérer socialement se retrouve dans l’histoire de cet homme qui à son tour est appelé à voir son niveau de vie miraculeusement amélioré.

Guernsey’s révèle le montant obtenu, compte tenu de l’identification des illustres résidents des appartements ou chambres dont les portes portent les numéros d’origine

– Bob Dylan, 125 000 $
– Janis Joplin / Leonard Cohen, 106 250 $
– Andy Warhol / Edie Sedgwick, 65 625 $
– Jack Kerouac, 37 500 $
– Madonna / Isabella Rossellini, 16 250 $
– Jimi Hendrix, 16 250 $
– Joni Mitchell, 10 000 $
– Bob Marley, 8 750 $
– Jackson Pollock, 8 750 $
et … une porte rouge non attribuée avec un œil peint, 12 500 $.

© Pierre Schwab

©pierre schwab

Il ne faut pas négliger l’industrie, le génie de Cigdem Tankut dans ce projet. L’histoire quotidienne new-yorkaise a voulu que cette femme, amie des arts depuis toujours, artiste elle-même, croise Teddy, le chien de Jim qui séjournait dans la rue, occupé avec un stand de disques vinyles. Grâce à Teddy, elle a connu Jim et lui a offert quelques mois un gite chez elle, pour ensuite lui trouver un appartement. Elle lui a permis ainsi d’avoir téléphone, ordinateur, et des solutions matérielles pour la mise en oeuvre du projet de réhabilitation des portes, destinées à la destruction, rappelons-le. On peut dire qu’elle a été la pierre angulaire de l’opération pendant les cinq années qu’a duré sa réalisation. C’est elle qui a trouvé la maison Guernesey en la personne d’Arlan Ettinger. Celui-ci a tout de suite souscrit à l’idée. Frank Maresca de la Ricco/Marescal Gallery a imaginé quant à lui une installation très créative des portes pour les mettre en situation de façon vivante et allégorique.

©Pierre Schwab

Les portes étaient suspendues au plafond avec des filins d’acier de manière à constituer une sorte de labyrinthe. Le symbole de la porte qui ouvre un univers clos a pris sens dans cette installation en rappelant qu’à chaque monde d’un personnage correspond un chemin d’ouverture.

A la lueur de toutes ces bonnes idées, la vente aux enchères, qui a eu lieu dans la galerie Ricco/Maresca, s’est déroulée dans des conditions optimales, la totalité des portes ayant trouvé preneur, certaines atteignant même des prix étonnants.

Il faut que l’histoire artistique du Chelsea Hôtel se perpétue et que ce lieu réputé dans le monde entier soit encore le siège de manifestations artistiques nombreuses et variées. Si ces murs ont été le siège de grandes créations d’avant-garde dans le monde littéraire, cinématographique, musical c’est que le lieu a favorisé l’éclosion du génie de ses occupants, il faut reconnaître que nous avons du mal à trouver expérience équivalente ailleurs dans le monde.

©Pierre Schwab

Nous attendons le fim documentaire que préparent Ivan Cordoba et Julio Valdeon, deux cinéastes espagnols, sur les cinq années de la réalisation de l’opération de réhabilitation et vente des précieuses portes.

Un spécial remerciement à mon correspondant à New-York, Pierre Schwab qui, depuis Paris, s’est rendu spécialement sur les lieux de la vente aux enchères pour prendre contact avec les différents intervenants et assister à  la vente en avril dernier.

 

 

Annie Claire 12.05.2018

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